EURO-REPORTAGES - FLORENCE

Résurrection menacée à Lucca

Texte et photos : Claire Roekens - Institut St-André de Ramegnies-Chin

Septembre 1996

 

 

A 80 km de la fourmillante Florence, Lucca est une petite ville paisible et accueillante. Elle offre jusqu’au 30 septembre prochain une superbe exposition de sculptures en bois polychromes: «L’art retrouvé»

Cette exposition a ouvert ses portes le 16 décembre 95, après 20 ans de travail et de passion. 20 ans pour, tout d’abord, ratisser la Toscane et recueillir parfois dans des conditions de conservation déplorables des statues datant du XIIe au XVe siècles. 20 ans pour accueillir ces âmes maculées et leur rendre leur beauté originelle par mille et un procédés. 20 ans pour aller en quête de fonds et de lieu, d’autorisations et de soutiens à l’exposition.
C’est grâce à la surintendance de Pise, chapeautée par l’Etat italien, que cette opération a pu être menée à bien, mais aussi grâce à des fonds destinés à restaurer les murailles de la ville et grâce à une banque de la région.
Le but des restaurateurs réside en la restitution de l’esprit de l’artiste du moyen âge ou de la Renaissance.
En effet, au cours des siècles, ces œuvres ont été remises au goût du jour et donc repeintes tous les 60 ou 70 ans.
C’est ainsi que Marco Gazzi, restaurateur à la Villa Guinigi de Lucca, a parfois ôté plus de dix couches de peinture de ces statues. Celles-ci ont été sculptées au moyen-âge par des artistes toscans dans du bois de peuplier, cerisier ou tilleul à l’aide d’outils rustiques. Les sujets et les couleurs varient et évoluent au fil des siècles. Vierges à l’enfant, crucifix et portraits ont été mutilés, bafoués, humiliés dans leur identité pour plaire au public du moment.
Marco veut aujourd’hui rendre à ces œuvres ce que le sculpteur leur a offert, les formes, les attributs et les couleurs de leur naissance.
Pour ce faire, Marco et son assistante Laura ont recours à des techniques modernes. Les statues sont soumises à des analyses chimiques, des carottages très minutieux qu’on appelle stratigraphie pour déterminer le nombre de couches de peinture et de plâtre à enlever. Ils procèdent alors au nettoyage de la statue au moyen de bistouris et de solvants.
C’est dans un souci d’authenticité absolue que les restaurateurs rendent aux visages ce qu’il leur reste de leur enfance.

Il avait les yeux bleus

Au cœur de cette fabuleuse collection figure un flamand, Santo Vescovo. Sculpté au XIIIe siècle en chêne massif, il a fait l’objet d’un échange de la Toscane avec les Flandres. Arrivé à Lucca au XVIIe, il est déchargé de son bagage toujours inconnu et introuvable, et dépouillé de son nom. Lucca en fait son saint patron, San Paolin.
Ses yeux bleus et son teint pâle, témoignages de ses origines nordiques, sont assombris pour certifier ses nouvelles racines. On l’affuble alors de l’emblème de la ville, la cathédrale de Lucca. Au fil des semaines, les artisans ont rendu à Santo Vescovo sa dignité d’antan.

Le devenir du beau

La question de la conservation des œuvres reste ouverte. Ainsi, pour les splendides bois polychromes exposés à Lucca jusqu’au 30 septembre, demeure l’angoisse de l’après-expo. En effet, les témoignages de la beauté d’hier sont menacés par l’oubli et l’anonymat jusqu’à l’agonie s’ils sont à nouveau livrés à l’humidité des greniers où ils ont séjourné longuement.
Une exposition et un travail que l’avenir interroge...
Dans quelques jours, les statues seront confrontées au temps.