Vollard s'expliqua ainsi sur les raisons de son choix:
"En somme, me disais-je, ceux qui ont illustré les
fables n'en ont d'ordinaire retenu que tel ou tel de
leurs mérites et parfois les plus secondaires. Ils
n'ont vu en La Fontaine, les uns qu'un aimable conteur
d'anecdotes; d'autres, l'observateur cruel de la comédie
humaine; ceux-ci, un esprit frondeur avec des dons de
caricaturiste, dilettante, avec un fond de moralité
bourgeoise; ceux-là, un auteur de pittoresque de la
nature et des épisodes de la vie rurale, un satirique,
un descriptif, un animalier. Chacun le rétrécissait,
le ramenait exclusivement à l'un ou l'autre de ces
points de vue, comme si l'on ne comprenait pas qu'il
était tout cela ensemble et même quelque chose de plus...
C'est pourquoi j'ai cru qu'il était désirable et possible
que l'on donnât de l'oeuvre de La Fontaine une
interprétation moins littérale, moins fragmentaire,
qui fût à la fois plus expressive et plus synthétique...
et j'ajoute que cette transcription, c'est à un
tempérament de peintre, c'est à un peintre doué
d'imagination créatrice et fertile en inventions
colorées, qu'il faut la demander..."
Et si maintenant l'on me demande: "Pourquoi Chagall ?", je réponds: "Mais, précisément, parce que son esthétique m'apparaît toute proche et, en un sens, apparentée à celle de La Fontaine, à la fois dense et subtile, réaliste et fantastique".
L'interprétation que fait Chagall des Fables est surtout objective et la morale lui reste étrangère! Ne raconte-t-on pas que l'artiste, lorsqu'il travaillait, demandait à Belle, son épouse, de lire les Fables à haute voix et qu'il l'arrêtait toujours à la moralité en disant: "Ca, ce n'est pas pour moi".
L'artiste grava les eaux-fortes en noir et blanc de 1927
à 1930. Le livre ne sera publié qu'en 1952 par les soins
de Tériade.
Marc Chagall rehaussa lui-même à l'aquarelle les eaux-fortes
des soixante-cinq exemplaires présentés dans cette exposition
et qui appartiennent aux collections du Musée Jean de La
Fontaine à Château-Thierry (France). Cet ensemble de gravures
provient de la Donation Charles-Henri Génot-Boulanger,
entrée au Musée en 1989.