Correspondance de Félicien Rops à Théodore Hannon

[ Musée Félicien ROPS | Introduction ]
Le recueil de copies de 175 lettres et cartes de Félicien Rops à Théo Hannon léguées par le bibliophile Jules Jadot et conservées au Centre Général de documentation de l'Université catholique de Louvain, met en lumière un Rops bien connu: l'épistolier prolixe et vif, l'ami cordial. La plume est alerte. Le ton, tour à tour jovial, mordant, enjoué ou un brin méditatif, tient en haleine. Les thèmes se succèdent, prétextes souvent à des mises au point qui éclairent l'épistolier sur lui-même et sur le sens qu'il veut donner à son art. L'interlocuteur apparaît en filigrane de ces lignes qui tour à tour l'interpellent, le louent ou le fustigent.

L'ampleur et le ton de la correspondance, permettent de mesurer la complicité qui liait Rops et Hannon. Rops s'inquiète d'Hannon, de sa carrière. Il prend des nouvelles de leurs amis communs mais aussi de la compagne du poète, la "bonne Jehanne", ainsi que de sa mère. Mariette Rousseau, la soeur du poète, est fréquemment évoquée. Elle est une autorité dans le domaine de la botanique. Rops, qui herborise avec passion a fréquemment recours à ses lumières.

L'amitié entre Rops et ce "cher vieux pitre" d'Hannon date vraisemblablement de la création de la Société Internationale des Aquafortistes, en 1869.
Anseremme et son Auberge des Artistes est un des rendez-vous des deux hommes, membres l'un et l'autre de La Chrysalide, cercle de peintres bruxellois. La vie en bords de Meuse est bien souvent évoquée sous la plume de Rops.

La complicité entre les deux hommes se confortera au fil d'un long échange aux thèmes multiples.
Rops tient à constituer pour son ami la collection complète de ses gravures, y compris les tirages les plus rares. "Pour les eaux-fortes, il faut que tu m'envoies la liste complète de ta collection. Voici pourquoi: je fais effacer mes planches, presque toutes, et alors je fais un tirage spécial de chacune d'elles. Comme je tiens à ce que tu aies des épreuves des planches qui te manquent, je veux avoir ta liste..."
Les deux artistes conjuguent parfois leurs talents de graveur et d'écrivain dans une planche comme L'Eventail, par exemple, gravée par Rops autour d'une poésie calligraphiée de Hannon.

On apprend également que certains tableaux de Hannon sont complétés par Rops qui y ajoute des personnages, comme il le faisait pour plusieurs de ses amis peintres. Au fil des pages, les encouragements, les coups de gueule, les mises au point se multiplient. Rops, même s'il s'en défend, use souvent de son statut d'aîné pour admonester l'ami éclectique, tour à tour et en même temps poète, peintre, graveur, critique d'art...
Il s'agit de "secouer" ce brave Théo. Comment peut-il se confiner en Belgique? Rops, lui, n'est pas peu fier d'avoir réussi à Paris.

Touche-à-tout insatiable, Théo s'adonne à la peinture. Il acquerra en ce domaine une jolie réputation, mais sans jamais atteindre la maîtrise à laquelle il aspirait. Car Théo se voulait peintre avant d'être écrivain.
Il cherche son inspiration à Anseremme, bien sûr, mais aussi sur les plages de la mer du Nord, qui exercent un profond attrait sur de nombreux peintres de l'école réaliste. Ensor, qui le connaît bien, évoquera ses fines études du vieil Ostende exécutées vers 1880, où les bleus doux, les gris éteints voisinent spirituellement.
Rops suit ses progrès d'un oeil fraternel et parfois directif. Il "place" certains de ses tableaux à Paris.

La critique d'art n'est pas le moindre des talents de Hannon. Il usera de sa verve de polémiste dans L'Artiste, qu'il fondera en 1875, dans L'Actualité et dans La Chronique. Ces journaux aspireront à un renouvellement des doctrines artistiques et littéraires, poursuivant ainsi le mouvement lancé par L'Uylenspiegel, journal des débats artistiques et littéraires, fondé par Rops en 1856. Acquis au réalisme, ce journal avait choisi le biais du sourire pour avancer vers une nouvelle identité politique et culturelle.

L'oeuvre poétique de Hannon mérite l'attention, moins par le nombre de ses livres que par le caractère très personnel de certains recueils. Après avoir débuté dans le Journal des Etudiants, il publia en 1876, Les vingt-quatre coups de sonnet et l'illustra lui-même. L'Irrésistible, poème d'inspiration macabre, est dédié à Félicien Rops. Son principal recueil de vers, les Rimes de joie, date de 1881. En des vers que Rops qualifiera de "chatoyants" Hannon exprime la beauté sulfureuse de la femme moderne, les artifices de la parure, les envoûtements des fards et des parfums, le luxe maladif des boudoirs aux lourdes odeurs exotiques de musc, de patchouli, d'opoponax. Raffinements qu'il aime pimenter d'érotisme. Artificiel, subtil et licencieux, Hannon se réclame de Baudelaire, de Gautier et de Banville pour la forme, mais veut couler une inspiration moderne dans le moule parnassien. Rops illustrera le recueil de quatre eaux-fortes alors que Joris-Karl Huysmans le préfacera longuement.

Véronique Leblanc

[ Introduction ]


Bernadette Bonnier
Last modified: Tue Jul 30 11:59:49 MET 1996
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