Le recueil de copies de 175 lettres et cartes de Félicien
Rops à Théo Hannon léguées par le bibliophile Jules Jadot
et conservées au Centre Général de documentation de
l'Université catholique de Louvain, met en lumière un Rops
bien connu: l'épistolier prolixe et vif, l'ami cordial.
La plume est alerte. Le ton, tour à tour jovial, mordant,
enjoué ou un brin méditatif, tient en haleine. Les thèmes
se succèdent, prétextes souvent à des mises au point qui
éclairent l'épistolier sur lui-même et sur le sens qu'il
veut donner à son art. L'interlocuteur apparaît en filigrane
de ces lignes qui tour à tour l'interpellent, le louent ou
le fustigent.
L'ampleur et le ton de la correspondance, permettent de mesurer la complicité qui liait Rops et Hannon. Rops s'inquiète d'Hannon, de sa carrière. Il prend des nouvelles de leurs amis communs mais aussi de la compagne du poète, la "bonne Jehanne", ainsi que de sa mère. Mariette Rousseau, la soeur du poète, est fréquemment évoquée. Elle est une autorité dans le domaine de la botanique. Rops, qui herborise avec passion a fréquemment recours à ses lumières.
L'amitié entre Rops et ce "cher vieux pitre" d'Hannon date
vraisemblablement de la création de la Société Internationale
des Aquafortistes, en 1869.
La complicité entre les deux hommes se confortera au fil
d'un long échange aux thèmes multiples.
On apprend également que certains tableaux de Hannon
sont complétés par Rops qui y ajoute des personnages,
comme il le faisait pour plusieurs de ses amis peintres.
Au fil des pages, les encouragements, les coups de gueule,
les mises au point se multiplient. Rops, même s'il s'en
défend, use souvent de son statut d'aîné pour admonester
l'ami éclectique, tour à tour et en même temps poète,
peintre, graveur, critique d'art...
Touche-à-tout insatiable, Théo s'adonne à la peinture.
Il acquerra en ce domaine une jolie réputation, mais sans
jamais atteindre la maîtrise à laquelle il aspirait.
Car Théo se voulait peintre avant d'être écrivain.
La critique d'art n'est pas le moindre des talents de Hannon. Il usera de sa verve de polémiste dans L'Artiste, qu'il fondera en 1875, dans L'Actualité et dans La Chronique. Ces journaux aspireront à un renouvellement des doctrines artistiques et littéraires, poursuivant ainsi le mouvement lancé par L'Uylenspiegel, journal des débats artistiques et littéraires, fondé par Rops en 1856. Acquis au réalisme, ce journal avait choisi le biais du sourire pour avancer vers une nouvelle identité politique et culturelle. L'oeuvre poétique de Hannon mérite l'attention, moins par le nombre de ses livres que par le caractère très personnel de certains recueils. Après avoir débuté dans le Journal des Etudiants, il publia en 1876, Les vingt-quatre coups de sonnet et l'illustra lui-même. L'Irrésistible, poème d'inspiration macabre, est dédié à Félicien Rops. Son principal recueil de vers, les Rimes de joie, date de 1881. En des vers que Rops qualifiera de "chatoyants" Hannon exprime la beauté sulfureuse de la femme moderne, les artifices de la parure, les envoûtements des fards et des parfums, le luxe maladif des boudoirs aux lourdes odeurs exotiques de musc, de patchouli, d'opoponax. Raffinements qu'il aime pimenter d'érotisme. Artificiel, subtil et licencieux, Hannon se réclame de Baudelaire, de Gautier et de Banville pour la forme, mais veut couler une inspiration moderne dans le moule parnassien. Rops illustrera le recueil de quatre eaux-fortes alors que Joris-Karl Huysmans le préfacera longuement. |
Véronique Leblanc |
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