Rops écrit à ce propos, à son ami le peintre
François Taelemans en 1878:
"Le sujet est facile à comprendre; le bon Saint Antoine, poursuivi par
les visions libidineuses, se précipite vers son prie-Dieu, mais pendant
ce temps-là, Satan - un drôle de moine rouge - lui fait une
farce; il lui a ôté son Christ de la croix et l'a remplacé
par une belle fille, comme les diables qui se respectent en ont toujours
sous la main. Tout cela au fond n'est qu'un prétexte à
peindre d'après nature une belle fille qui nous faisait manger,
il y a un an déjà! des oeufs à la tripe, à la
mode de Touraine et qui, pour la première fois et après bien
des insistances a bien voulu poser pour son vieux Fély, comme
la princesse Borghèse a posé pour Canova. Je n'ai changé
que les cheveux..."
Il ajoute:
"Surtout éloigne de la tête des gens toute idée
d'attaque à la religion ou d'éroticité.
Une belle fille comme la mignonne que tu connais, peut être
portraicturée (sic) sans aucune idée de lubricité.
Quant à la religion, elle n'est point attaquée.
Lorsque Goya fait enlever le Saint-Sacrement par Lucifer, il n'a pas
plus d'idées antireligieuses que moi..."
Rops écrira encore à propos de cette oeuvre:
"Voici à peu près ce que je voulais faire dire au bon
Antoine par Satan (...) Je veux te montrer que tu es fou mon bon Antoine,
en adorant tes abstractions! Que tes yeux ne cherchent plus dans les
profondeurs bleues le visage de ton Christ, ni celui des Vierges
incorporelles! Tes Dieux ont suivi ceux de l'Olympe (...) Mais Jupiter
et Jésus n'ont pas emporté l'éternelle Sagesse,
Vénus et Marie l'éternelle Beauté! Mais si les Dieux
sont partis, la Femme te reste et avec l'amour de la Femme l'amour
fécondant de la Vie".
Cette oeuvre célèbre a aussi retenu l'attention de
Sigmund Freud:
"Le graveur a choisi le cas exemplaire du refoulement dans la vie des
saints et des pénitents. Un moine ascète s'est
réfugié - sûrement pour fuir les tentations du
monde - près de l'image du Sauveur crucifié. Alors
cette croix s'affaisse comme une ombre et, rayonnante, s'y substituant,
s'élève à sa place l'image d'une femme nue aux
formes épanouies, également dans la position du
crucifiement. D'autres peintres, dont la pénétration
psychologique était moindre, ont placé, dans les
représentations analogues de la tentation, le péché
insolant et triomphant quelque part à côté du
Sauveur sur la croix. Seul Rops lui a fait prendre la place du Sauveur
lui-même sur la croix; il paraît avoir su que le refoulé,
lors de son retour, surgit de l'instance refoulante elle-même..."